Je viens de lire un très bon article de Frédéric Joignot dans le Monde culture.
À mon tour, il faut que je vous parle de Daniel Kahneman, qui est le seul psychologue ayant obtenu le Prix Nobel d'Économie en 2002. Il est considéré comme l'un des pionniers de l'économie et de la finance "comportementale". Les exemples depuis la crise financière foisonnent, montrant des comportements irrationnels sur des fausses prévisions, des transactions périlleuses, sur des prises de risques, des méprises et des emballements souvent inconscients. Dans son dernier ouvrage, il développe sa théorie. Pour lui, les "biais de jugement" très fréquents fourvoient l'analyse rationnelle : le "biais égocentrique" nous fait croire plus intelligent que nous ne le sommes ; le "biais de statu quo" donne à voir tout changement comme un risque ; l'"effet de halo" ne retient que ce qui va dans le sens d'une première impression ; le "biais de pseudo-certitude" vise à décréter toujours valable une vérité d'hier. Il existe encore des "biais de raisonnement". Sous l'effet de l'"illusion des séries", on perçoit à tort une convergence dans une série de hasards. C'est l'arbre qui cache la forêt.
Pour Kahneman, à la base de ces erreurs, il y a une fausse vérité : l'économie repose sur des mécanismes rationnels, fondés sur un homme raisonnable et prévisible. Or, pour lui, ce n'est pas le cas. Avec des confrères (Tversky, Rabin, Thaler), Kahneman a multiplié les études de cas montrant que l'Homo economicus ne se comporte pas comme prévu. L'être humain se retrouve devant des situations conflictuelles dans lesquelles, il n'arrive plus à déterminer ou est son intérêt, sacrifiant même les principes logiques. Claudia Senik étudie les limites "de l'axiome de la rationalité individuelle" dans la pensée libérale. Pour elle, Daniel Kahneman a bien montré comment l'homme - "trop humain" - se fourvoie dans un système de pensée biaisé, aux intuitions trompeuses. Le système 1 ou mode de réflexion spontané à la rapidité fulgurante prend le pas sur la pensée logique, pondérée du système 2.
Même si Kahneman est de plus en plus écouté depuis la crise, il reste très critiqué par les économistes libéraux. Pour eux, ces réactions déraisonnables des acteurs économiques sont marginales. Qu'il s'agit de recherches théoriques qui ne bouleversent en rien le cours de l'économie libérale et ses bienfaits. Pour Levine par exemple, la psychologie s'intéresse aux réactions d'un individu, l'économie, à la loi des grands nombres. La première n'interfère pas avec la seconde. Pour Levitt et List, l'économie comportementale découle de travaux de laboratoire et leurs conclusions sont difficilement vérifiables. Kahneman leur répond qu'on ne peut nier la marginalité des comportements en économie financière, car aujourd'hui des mesures étatiques de régulation sont prises.
Alors qui a raison ? Les comportementalistes ou les libéraux ?
Les commentaires récents