On l'a presque oublié mais lors du sommet de Bruxelles de mai 1998, les Allemands s'étaient vigoureusement opposés à la désignation de Jean-Claude Trichet comme premier président de la Banque centrale européenne (BCE).
A l'issue d'une nuit de psychodrame, qui avait vu Jacques Chirac batailler seul contre tous les autres chefs d'Etat et de gouvernement européens, Paris avait seulement obtenu que le Néerlandais Wim Duisenberg n'aille pas jusqu'au bout de son mandat. Les Allemands rechignaient à l'idée de confier la gestion de la future monnaie européenne - donc la leur - à un Français, forcément soupçonné de laxisme monétaire.
JUSQU'AU-BOUTISME
La BCE n'a pas seulement choisi, jeudi 4 septembre, de ne pas baisser son principal taux directeur (fixé à 4,25 %), elle a surtout réaffirmé avec force que la priorité des priorités restait la lutte contre l'inflation. On connaît la chanson par coeur.
A l'évidence, M. Trichet ne se satisfait pas de la légère décélération de l'inflation (+ 3,8 % en août après + 4 % les deux mois précédents) liée à la décrue des cours des matières premières. Pour lui, ce niveau, près de deux fois supérieur à l'objectif que s'est fixé la BCE, reste "inquiétant".
Les effets de "second tour", c'est-à-dire la contagion aux salaires, menacent toujours, avec l'ouverture à l'automne des négociations dans le secteur de la métallurgie en Allemagne. Le syndicat IG Metall pourrait réclamer jusqu'à 8 % de hausse salariale, afin de compenser l'effet de la flambée des prix qui ronge le pouvoir d'achat des ménages. La BCE a d'ailleurs revu à la hausse ses prévisions d'inflation, à + 3,5 % en 2008 (contre + 3,4 % précédemment) et + 2,6 % en 2009 (contre + 2,4 %).
Et comme en plus, M. Trichet considère que "le mandat de la BCE, tel qu'il est défini dans le traité de Maastricht et qui donne la priorité à la stabilité des prix, est idéalement adapté pour répondre aux défis actuels", il ne faut pas s'attendre à une baisse rapide des taux directeurs. Et même peut-être pas à une baisse du tout, malgré la récession qui menace de plus en plus. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a ainsi révisé en forte baisse son pronostic de croissance dans la zone euro en 2008, à + 1,3 %, contre + 1,7 % précédemment.
Mais ce jusqu'au-boutisme anti-inflationniste de l'institut monétaire de la zone euro commence à faire peur à nombre d'investisseurs.
MOURIR EN BONNE SANTÉ
Certains se demandent si l'Europe ne va pas mourir en bonne santé, débarrassée, certes, de l'inflation, mais tuée par une récession d'ampleur provoquant de forts remous sociaux et des tensions politiques majeures.
L'euro s'est d'ailleurs nettement affaibli face au dollar après le discours de M. Trichet, malgré la perspective de voir les taux européens rester durablement plus élevés que leurs homologues américains. Il est tombé, vendredi 5 septembre, à 1,4196 dollar, son cours le plus faible depuis onze mois.
Les esprits mal intentionnés vis-à-vis de M. Trichet - il y en a - font remarquer que cette dépréciation, si elle devait perdurer, aurait pour effet d'augmenter le prix des produits importés, notamment du pétrole, et donc de faire croître les tensions inflationnistes dans la zone euro. En un mot, la stratégie de M. Trichet fabriquerait plus d'inflation qu'elle n'en détruirait.
Les mêmes esprits mal intentionnés observent que malgré le grand écart de politiques monétaires - très souple aux Etats-Unis, très dure en Europe -, l'inflation outre-Atlantique n'est guère plus élevée que dans la zone euro (moins d'un point). Encore une partie de cette différence provient-elle de la moindre taxation de l'énergie aux Etats-Unis : les variations du cours du pétrole y ont un impact supérieur sur les prix à la consommation. "C'est à désespérer les Européens d'être si pieusement monétaristes", note l'économiste Philippe Brossard dans un point de vue publié cette semaine dans La Tribune.
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