Face à une crise, ou plutôt à "un tsunami comme on en voit un par siècle", Alan Greenspan, l'ancien président de la Réserve fédérale américaine (Fed), autrefois adulé des marchés, avait fait part de son "grand désarroi".
Début décembre, ce sera peut-être au tour de Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne (BCE), de reconnaître implicitement que la crise est plus forte que ce qu'il aurait jamais imaginé. Si forte qu'elle pourrait obliger la BCE à déroger brutalement à son habituelle stratégie des petits pas et à son orthodoxie monétaire.
"Ce serait du jamais-vu", indique Jean-Louis Mourier, analyste pour la société de Bourse Aurel. Mais il faut bien lutter contre la crise, et "10 % des investisseurs pensent même que la BCE pourrait baisser ses taux de 1 point", indique-t-il. La Banque nationale suisse (BNS) n'a-t-elle pas réduit de 1 point ses taux le 20 novembre et la Banque d'Angleterre de 1,5 point il y a un mois ?
DÉCONFITURE ACCÉLÉRÉE
Les pronostics d'une telle détente des taux en Europe ont contribué à faire reculer l'euro face au dollar. Sur la semaine, la monnaie unique, qui était passée brièvement au-dessus du seuil de 1,30 euro pour un dollar, est ainsi redescendue à 1,2690 dollar vendredi.
Pour la BCE, aller si loin sera toutefois difficile. En particulier pour certains de ses membres soucieux de ne pas faire déraper la "masse monétaire". Et si M. Trichet s'est dit, mercredi 26 novembre, "prêt à baisser les taux d'intérêt", il y a débat sur l'ampleur de cette baisse. Lorenzo Bini Smaghi, l'un des gouverneurs de la BCE, a notamment pris soin de rappeler que "dans les westerns-spaghettis", les bons gagnent s'ils tirent les premiers, mais qu'il faut aussi atteindre sa cible. "Il n'y a pas de scène aussi déprimante que lorsque la cavalerie est cernée et qu'elle n'a plus de munitions", a-t-il indiqué.
Autrement dit, face à une crise qui risque de durer, M. Bini Smaghi voudrait laisser un peu de marge de manoeuvre à la BCE et n'appliquer qu'une baisse des taux de 0,50 point pour pouvoir agir plus tard. Au cas où.
"La BCE aura du mal à baisser les taux de 0,75 point, mais elle sera bien obligée de s'y résoudre", estime toutefois Gilles Moëc, économiste chez Bank of America. "La récession en Europe est plus rapide, plus profonde que les pires scénarios envisagés il y a tout juste deux mois", argue-t-il. Et pour y faire face, il faut, selon lui, agir vite et fort.
Assouplir brutalement la politique monétaire contribuerait en effet à soulager une économie européenne en déconfiture accélérée. Où le taux de chômage est monté à 7,7 % en octobre, son plus haut niveau depuis presque deux ans. Où plus de 12 millions de personnes sont aujourd'hui sans emploi. Où la confiance des chefs d'entreprise et des consommateurs s'est effondrée en novembre à son plus bas niveau depuis vingt-trois ans.
"HELICOPTER BEN"
En outre, les craintes d'inflation, qui pouvaient jusqu'ici freiner la Banque centrale dans l'assouplissement de sa politique monétaire, s'évanouissent. La hausse des prix, qui avait dépassé les 4 % au début de l'été, est retombée à 2,1 % en rythme annuel. "L'inflation recule partout, y compris en Espagne. Cela laisse la possibilité pour la BCE de baisser ses taux d'une manière inhabituelle", conclut M. Moëc.
Le geste de la BCE serait ainsi exceptionnel, mais encore bien timide au regard de ce dont est capable son homologue américaine, la Fed. Après avoir déjà appliqué des baisses de taux radicales, la Réserve fédérale a indiqué, mardi, qu'elle comptait mobiliser jusqu'à 600 milliards de dollars (473 milliards d'euros) pour racheter sur le marché des titres de crédit immobiliers et prêter jusqu'à 200 milliards de dollars pour permettre à des investisseurs institutionnels d'acheter des obligations adossées à des actifs tels que des crédits automobiles, des encours de cartes de crédit, des crédits étudiants et des crédits consentis aux PME.
En d'autres termes, la Fed va faire fonctionner la planche à billets. Une façon de créer de façon exogène de la masse monétaire et de contrer ainsi les risques déflationnistes. Ben Bernanke, l'actuel président de la Fed, avait un jour affirmé que, pour lutter contre la déflation, il suffisait de jeter des billets par hélicoptère à la foule. Ce qui lui avait valu le surnom de "Helicopter Ben".
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