La Banque centrale européenne (BCE) s'est réunie, jeudi 4 décembre, pour décider de la politique monétaire à adopter en zone euro. Face à l'aggravation de la crise financière et économique – la BCE s'attend à une contraction de 0,5 % en moyenne du produit intérieur brut en 2009 – et constatant le reflux brutal de l'inflation (passée de 4 % en juillet à 2,1 % en octobre), l'autorité monétaire à réduit ses taux d'intérêt directeurs de 0,75 point, pour les ramener à 2,50 %. Jamais la BCE n'avait effectué un geste d'une telle ampleur depuis sa création.
L'économiste Philippe Brossard analyse la stratégie de la BCE et s'interroge sur son efficacité.
La baisse des taux de 0,75 point est inédite en zone euro. Qu'en pensez-vous ?
Le geste de la BCE est certes exceptionnel mais nous ne vivons pas, en ce moment, une situation "normale". L'institut d'émission de la zone euro va dans le bon sens mais il reste à l'arrière-garde.
La BCE a réduit ses taux de 0,75 point, jeudi, mais la Banque d'Angleterre a, elle, appliqué une réduction de 1 point à 2 % (un plus bas depuis 1951), la Banque de Suède de 1,75 point à 2 %, et la Suisse est à 1 %, comme les Etats-Unis…
La BCE prend du retard. Elle ne fait donc pas partie de la solution à la crise. Et lorsque l'on ne fait pas partie de la solution, cela veut dire que l'on fait partie du problème.
Que voulez-vous dire ?
La zone euro va entrer en déflation. Autrement dit, les prix vont baisser en 2009 : ce repli atteindra 1 % en juillet, si le cours du baril de pétrole reste autour de 50 dollars. Face à cette baisse des revenus, la charge des emprunteurs – c'est-à-dire les petites et moyennes entreprises (PME), les ménages mais aussi les Etats – sera plus lourde. Il faudrait abaisser radicalement les taux directeurs pour alléger cette charge et aider l'économie à repartir.
Faudrait-il que les taux s'approchent de 0 % ?
Je le crois. Et il ne faut pas attendre. Le risque est que la BCE ne réduise pas assez et pas assez vite ses taux. Si l'on agit une fois la déflation en marche, les politiques monétaires deviennent inopérantes pour enrayer la récession. La banque centrale ne peut plus faire baisser les taux d'intérêt réels (taux d'intérêt diminués de l'inflation). Or la zone euro est déjà en récession. En tardant trop, la BCE risque d'être paralysée par la déflation.
Dans les années 1990, c'est ce qui s'est passé au Japon. La banque centrale a trop attendu et le pays s'est enfoncé dans une spirale de récession-déflation, malgré des taux ramenés à 0 %, mais trop tard. La Réserve fédérale aux Etats-Unis, et surtout son président Ben Bernanke, veulent éviter cela à tout prix. Mais M. Trichet semble ne pas prendre la mesure de ce danger. Il estime qu'en dépit d'une baisse des prix annoncée en 2009, il s'agit de désinflation et non de déflation. Il y a un problème de définition !
Avec des taux ramenés à près de 0 %, la BCE ne risque-t-elle pas d'être piégée, incapable d'agir si la crise dure plus longtemps que prévu, comme l'a évoqué M. Trichet ?
Si il y a un risque à prendre c'est celui de baisser trop les taux. Une banque centrale doit mener une course de vitesse contre la déflation car une fois que les prix baissent, ramener les taux à zéro ne sert plus à rien. Les revenus des ménages et des entreprises reculent et les sommes à rembourser par les emprunteurs deviennent exorbitantes. Il vaut mieux baisser trop les taux que de ne pas les baisser assez vite.
L'action des banques centrales n'a pas empêché l'entrée en récession de la plupart des économies mondiales. Agir sur les taux est-il vraiment efficace?
Les baisses opérées jusqu'ici n'ont pas résolu la crise mais elles ont eu un effet. Sur le marché du crédit les banques ne se prêtaient plus ou à des taux d'intérêts très élevés, à 5 % il y a un mois et demi. Aujourd'hui ces taux sont redescendus progressivement. En continuant ainsi le marché du crédit devrait se dégripper.
Pour endiguer la crise, les Etats peuvent aussi agir. Mais en Europe, la plupart des pays n'en ont pas les moyens. Seule l'Allemagne, dont la balance des paiements est excédentaire, pourrait le faire, mais elle ne le veut pas. Une énorme responsabilité repose donc sur la politique monétaire européenne.
Des milliards ont été injectés sur les marchés, des plans de relances massifs ont été annoncés. Ces sommes colossales ne risquent-t-elles pas de provoquer, à terme, de l'inflation ? De l'hyperinflation ?
Dans l'immédiat le risque est la déflation. On ne voit pas par quelle ironie de l'histoire la situation s'inverserait à horizon d'un an ou deux. Mais le gonflement de la dette publique est inquiétant. On oublie trop souvent que les Etats aussi peuvent faire faillite.
La question de l'inflation se posera certainement dans 8 ou 10 ans si rien n'est fait pour éviter que le marché ne s'emballe à nouveau, qu'une nouvelle bulle ne se crée. Mais la politique monétaire et la manipulation des taux d'intérêt ne peut pas tout résoudre. La prévention des bulles spéculatives passe par un contrôle plus réglementaire et quantitatif du crédit.
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