Je m’indigne, mais je reste vigilant.
Indignez-vous nous demande Stephan Hessel dans son opuscule saule pleureur de 20 pages. A la suite de ses 800.000 lecteurs, j’ai donc moi aussi décidé de m’indigner. Il faut dire que les motifs ne manquent pas. Entre les virées tunisiennes de Mam, la construction de logements sociaux sur les contre-allées de l’Avenue Foch, ou la transformation des voies sur berge en luna park pour bobos fatigués, on peut hésiter. Entre la grève des Crs pour maintenir leurs casernes au soleil, la grève des dockers de Marseille dans le but de travailler moins de 16 heures par semaine, ou plus encore celle des magistrats incapables de rendre un jugement en moins de cinq ans et qui laissent croupir dans les prisons des innocents (n’est-ce pas Outreau ?) pendant qu’ils relaxent des criminels notoires (n’est-ce pas Erignac ?), vraiment, il y a matière. Mais j’ai choisi de traiter un sujet plus directement relié à notre métier : la lutte contre le blanchiment. La presse nous apprend que la fortune des Moubarak qui, selon les experts, serait comprise entre 4 et 70 milliards de dollars, doit être désormais gelée. Vous noterez comme moi l’extrême précision du montant. Là je m’interroge. Ces milliards comme d’ailleurs ceux des Ben Ali ou Trabesi, Khadafi ou des autres n’ont pas circulé dans les airs par l’opération du Saint Esprit. Les flux ont bien transité par des comptes bancaires. Les nombreux immeubles et propriétés achetés en France, en Italie et ailleurs ont bien donné lieu à des transactions officielles. Et personne nulle part ne s’est ému de la provenance des fonds ? Ni de leur origine délictueuse ? Car enfin il s’agit purement et simplement de vols des trésors publics nationaux. C’est bien beau de bloquer mais il eut été préférable d’empêcher. Alors à quoi servent les directives de Tracfin contre le blanchiment ? A quoi riment ces demandes incessantes du régulateur pour que nous rédigions procédure sur procédure et que nous sensibilisions : « Tout notre personnel » (8 personnes !) au problème du blanchiment ? Que signifie La liste terroriste unique que nous a adressée la Commission de Bruxelles le 7 février et qui fait 174 pages (ça c’est précis !) ? Si ce n’est de la poudre aux yeux. Mais de la poudre aux yeux extrêmement coûteuse pour la profession et pour les épargnants. Car on ne peut plus ni recevoir ni adresser un chèque ou un virement de 50.000 € sans que le contrôleur des risques du dépositaire ne nous assaille de questions et de demandes de preuves sur l’origine ou la destination des fonds. Toute cette régulation absurde qui ne sert qu’à empoisonner des milliers de braves gens, tous ces coûts supplémentaires supportés par les clients sans aucun bénéfice pour eux, tout ce temps perdu, ces moyens informatiques mobilisés, pour apprendre par Le Monde du 23 février qu’une brave dame de Luxembourg qui désirait envoyer une modeste obole à deux orphelins touaregs algériens, dénommés Ali et Mohammed, avait contribué à mettre en branle toutes les autorités de régulation du Grand Duché pour in fine se voir refuser le virement. Alors là oui, franchement, je m’indigne ! Mais rassurez-vous je ne fais pas que cela, je reste vigilant ! C’est la dernière tarte à la crème de nos talk show télévisés. Cher Monsieur l’expert, ne craignez-vous pas que les extrémistes musulmans ne finissent par détourner la révolution à leur profit ? Réponse le front emprunt d’une gravité étudiée : certes, c’est un risque, mais il est peu probable. Il convient toutefois de rester vigilant ».
Vigilants, nous devons donc l’être pour tout : les révoltes du monde arabe, la politique étrangère, les contrats en euros, sans oublier bien sûr les médicaments poisons, les pesticides et les Ogm.
Donc je vigile, nous vigilons, ils vigilent, c’est à peu près la seule chose que les commentateurs de tout poil savent faire après s’être indignés.
Hubert Jousset
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