La question n’est pas nouvelle mais la réponse est toujours différente. A quoi servent les économistes ? Joseph Stiglitz avait avoué que « Les économistes ont fourni le cadre intellectuel utilisé par les régulateurs financiers pour justifier leur inaction. La théorie économique est devenue un monde autosuffisant, une fausse représentation de la réalité. Un propos repris par le collectif des Economistes atterrés, pour qui la plupart des experts qui interviennent dans le débat public le font pour rationaliser les politiques de soumission aux exigences des marchés financiers. Peut-on faire confiance aux économistes ? Repenser l’économie ? Vient de paraître un nouvel ouvrage d’une sociologue, Mariana Heredia, qui livre une réflexion à la fois originale et décalée sur la corporation. Face à la toute-puissance du discours économique, dit-elle, la sociologie, court le risque de se condamner elle-même à la « nostalgie » et à la « résistance ». Elle risque « de méconnaître ce qu’il y a d’original et de productif » dans le « nouvel esprit du capitalisme », pour reprendre l’expression du sociologue Luc Boltanski. Pourquoi les économistes sont omniprésents aujourd’hui, et pourquoi l’emprise des sciences économiques est, selon l’auteur, si extraordinaire ? A quoi sert un économiste ? Et le singulier est important. A produire du discours économique ? Mais son travail n’est pas seulement de « l’ordre du discours ». Si la science économique a réussi à dominer le monde, c’est qu’elle est imbriquée dans un dispositif, celui de technologie de gouvernement qui structure matériellement nos existences.
Premièrement, la victoire du discours économique dominant n’est pas le résultat d’un complot : « L’ordre libéral n’est pas la conséquence d’un projet univoque, longuement élaboré par les dirigeants politiques. » Le néolibéralisme ne correspond pas à une restauration du pouvoir des classes dominantes. Ceux qui étaient au pouvoir naguère ne sont pas toujours ceux qui ont gagné le plus aux transformations du système, insiste la sociologue, pour qui il faut rejeter l’idée d’une tyrannie des experts, comme celle d’une guerre des classes.
Deuxièmement, le triomphe des économistes n’est pas idéologique, au sens traditionnel du terme. « L’influence de Milton Friedman et de Gary Becker est désormais perceptible moins dans les ouvrages classiques que dans la sophistication des dispositifs qui structurent les marchés financiers et qui encouragent la marchandisation toujours plus grande du monde ».
Dans la période récente, les économistes ont été « un recours pour des élites perplexes ». « Face au tout est politique des années 1970, les économistes ont contribué à effacer les limites entre science et politique, entre le monde et les nations, dans la construction et la stabilisation d’un nouvel ordre dans lequel tout semble se plier à l’économique », note l’auteur. Leurs interventions ont permis de transformer une crise d’autorité en crise économique. Dans une interview de 1976, Michel Foucault affirmait : « Nous sommes entrés dans un type de société où le pouvoir de la loi est en train non pas de régresser, mais de s’intégrer à un pouvoir beaucoup plus général, celui de la norme. » C’est une intégration de ce type qu’incarne aujourd’hui, selon Mariana Heredia, la figure de l’économiste. Une figure singulière !
Jeudi 27 Février 2014
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