Aux heures noires de la Grande Crise à New York, raconte le célèbre économiste John Kenneth Galbraith dans son livre sur le krach de 1929, les hôteliers demandaient aux clients réservant une chambre si c'était pour dormir ou pour sauter. Dans la tourmente de cet automne, ce ne sont plus des individus qui sautent, mais des banques entières, des établissements de crédit naguère follement prospères au point de léviter dans des bulles d'or redevenues citrouilles au minuit sombre des marchés mondiaux.
Un poison à retardement courait dans les veines de la finance. Les secours étatiques sont restés impuissants à administrer le bon sérum. Comble de la maladie du capitalisme, les injections massives d'argent ne soulagent pas la douleur des banques ni ne ravivent les marchés.
Cette purge est avant tout la sanction du réel qui cogne à la porte sans ménagement. Il faut dire qu'il avait déjà prévenu. En août 2007, avec le véritable déclenchement de la crise des subprimes. Mais, à l'époque, la plupart des financiers éludaient le danger, ignorant la complexité perverse des outils circulant sur les marchés au point de s'affranchir des contraintes de prudence. Le réel avait encore frappé début 2008 avec la flambée des prix alimentaires et les tensions sur les énergies fossiles. Rien vu, rien dit, rien appris.
Devant pareil désastre, on ne peut que s'inquiéter des transgressions de nos sociétés que dévore le virtuel. N'existent pas, sauf dans les jeux vidéo, les guerres aux soldats qui ressuscitent. N'existent pas, sauf chez les apprentis sorciers, les femmes qui enfantent en plusieurs exemplaires à l'approche de la soixantaine. On peut aimer l'interrogation de Valéry : "Que serions-nous sans le secours des choses qui n'existent pas ?", et crier gare devant un monde qui se construit sur des mirages. Des banques d'affaires qui prêtent plus de quarante fois leurs fonds propres, cela n'existe pas. Des ménages accédant sans effort financier à la propriété, cela n'existe pas davantage. La crise qui éclate le prouve : à posséder si peu de lest, bien des banques ont sacrifié la réalité à l'imaginaire, quitte à dérégler le thermomètre pour l'empêcher d'indiquer la fièvre. Inconscience, ivresse, cupidité, fuite en avant, l'affaire est entendue.
Et maintenant ? Comme dans les puits de pétrole en flammes que seule une énorme charge de dynamite parvient à éteindre par l'effet de souffle, seule une action concertée équivalente à l'attaque réussira. Qui peut la mener ? Pas les Etats-Unis uniquement, disqualifiés par l'échec d'un modèle libéral à l'anglo-saxonne. Après avoir longtemps cru à l'autorégulation des marchés, ils viennent de les anéantir par les pratiques intégristes de l'ère Bush.
La remise en cause de l'hyperpuissance américaine ne signifie pas le renforcement d'une Europe aux égoïsmes tenaces, comme l'illustre le refus allemand d'un plan commun. Pour autant, le capitalisme d'Etat façon russe ou chinoise ne saurait devenir le modèle à suivre, tant il se paie d'autoritarisme et d'inégalités aussi criantes qu'en Occident. La question reste entière : qui va poser la règle ? Qui la fera respecter ? Qui va nous ancrer au réel ? La sécurité financière doit devenir un droit mondial, garanti par des instances mondiales. Pour préserver la paix. Et une prospérité partagée, conciliable avec les ressources d'un monde fini.
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